Le couteau est cassé, sa pointe s'est brisée. Je l'ai vu rebondir.

Il tourne sur lui-même, au ralenti. Mes yeux rebondissent sur son bout, et reviennent pour me dire "le bout est plat". Il tourne en l'air, comme un corps mort chutant dans un abyme.

C'est mon corps qui chute. Un bord plat remplace sa pointe vive. Comme si je m'étais pété un orteil, l'ongle de l'orteil contre un angle métallique.

À douze pas de là, j'ai vu le drame.

La chute.

Un couteau sans pointe est un corps sans désir.

Je prend ma grosse meuleuse, la trop lourde.

Ma main gauche l'allume et la coince.

Je sens le poids de la machine qui s'emballe sur l'établi.

La droite plaque la lame contre le disque et y sculpte un nouveau désir.

Une nouvelle pointe.


J'aiguise le couteau comme j'aiguise mon désir.

Ce moyen qu'est le couteau

Sa pointe

Pour toucher

La cible du désir

Dans l'amour, chaque geste, chaque caresse, chaque position du corps est absolument nécessaire

On le voit dans l'autre quand il jette le couteau

Il n'a plus de corps, il n'y a plus de couteau

Une nouvelle entité corps/couteau - Corteau/coups - coucor/teaups

Couteaucorps-corpscouteau

On ne distingue plus rien

Qui du corps ou du couteau dicte le désir ?

Le couteau atteint la cible

Se plante en un point précis

Le corps regarde le couteau

Le couteau regarde le corps

Le passage du couteau

Le corps dans le passage

Espace flottant

Le vide, après

Quelque chose s'apaise

extase

vidé

Mise en jeu de toute sa vie

Ce qu'il peut faire le corps

il sent, il sait.

Le vide, après

Pas de doute.

Reprenons l'expérience du lancer de couteau sans le corps Je ne lance pas le couteau

Dans le grenier, je n'ai pas de couteau, je n'ai pas de corps je lance mon couteau sur le vieux volet

La lame chaude, fragile, le corps tendu, prêt à jouer comme un piano.

J'appuie sur la pédale et laisse vibrer les cordes.

Pré-geste, impulsion, acmée, le couteau vole dans les airs. Impact. Reset.

Sous le choc, le volet tombe et derrière ...

Van Gogh

C'est un paysage !

Je vois la rivière au loin et le corps d'Arthur qui flotte

Mon corps danse avec son corps mort

Mais il n'y a pas de fantôme dans les tableaux de Van Gogh ?

Un plan de blé sous le vent incliné

Témoin, cee paysage d'or fondu

Un énorme soleil s'appuie sur le toit

Si croulant de lumière qu'il en est comme en décomposition

J'ai peur des grands pans d'ombre que les maisons projettent - Artaud-

J'ai peur. J'ai le vertige. Et je m'arrête exprès. -Cendrars-